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N.D.W : La présence des Antonins ayant fortement marquée la vallée, ce site contient des articles qui leur sont dédiés. Voir ici la thérapeutique de l’ergotisme et Saint Antoine l’Ermite.

ORDRE DES ANTONINS

Fondation de l’Ordre des Antonins

Antoine le Grand, également connu comme Antoine d’Égypte, Antoine l’Ermite, ou encore Antoine du désert, est un moine considéré comme le père du monachisme chrétien, Sa vie est relatée dans l’article  Saint Antoine l’Ermite.
Son corps a été déposé à Constantinople dans la basilique Sainte-Sophie, vers l’an 670 où il reposa jusqu’au XIe siècle. 

La légende prétend qu’à cette époque, en France, un chevalier du nom de Jocelyn de Châteauneuf, fils du seigneur de la Motte-au-Bois, (Motta nemorosa), situé dans le comté de Vienne , aurait été guéri par Saint Antoine le Grand, qu’il vit en rêve. Ce dernier lui fit promettre d’accomplir le pèlerinage en Terre Sainte et de rapporter ses reliques. Vers 1074, Jocelyn de Châteauneuf part avec son beau-frère Guigues Disdier, ils ramènent les précieux ossements et les déposent dans la chapelle de leur village de la Motte-au-Bois. ♦ 

Carte de la Terre Sainte

Marino Sanudo - 1320 - British Library

Jocelyn entreprit de construire une église digne d’abriter les saints ossements mais il mourut rapidement. Son beau-frère Guigues Disdier prit la suite des travaux et en 1083 les reliques furent confiées à l’abbaye bénédictine de Montmajour qui s’implanta dans le village, sous l’égide de Gontard, évêque de Valence, Il autorisa les bénédictins de Montmajour à établir un prieuré à Saint-Antoine. La construction du prieuré et d’une nouvelle église romane débuta en 1088. Le pape Urbain II estimant que l’ancienne église n’était pas digne de recueillir les reliques ordonna leur transfert dans le nouvel édifice. 

Le transfert des reliques s’accompagna d’une mutation d’identité  :  d’ermite  du  désert,  Antoine  devint  un  saint  thaumaturge  dans  un  contexte  local  de résurgence d’une mystérieuse maladie ‘l’ignis sacer » (feu sacré – ergotisme voir là).
Alors qu’en l’an 1090… cette cruelle maladie de feu, estropiait et tuait un grand nombre de personnes, impuissant, démuni, on implora l’aide et la protection du grand Saint-Antoine. Ses reliques firent l’objet d’un pèlerinage. Une foule de malades dans un grand dénuement envahi littéralement le bourg.

En 1089, la légende raconte qu’un jeune noble, Guérin de Valloire (du village de Valloire tout proche), atteint par le feu sacré, fait vœu, en cas de guérison, de se consacrer aux malades. Il est sauvé et avec son père Gaston, ils fondent une communauté, qui va se faire connaître sous le nom de « compagnie charitable des frères de l’aumône ». Ils construisent un premier hôpital, « la maison de l’aumône », où non seulement les malades mais aussi les pèlerins pauvres pourront trouver soin, hébergement et nourriture… »

L’ordre hospitalier de Saint-Antoine est ainsi fondé localement en 1095. Guérin de Valloire, est officialisé en tant que responsable de la compagnie charitable, au concile de Clermont.

De Motta nemrosa,  le  nom du village fut  transformé  en  Motta  sancti  Antonii,  La Motte-Saint-Antoine  également  désignée  sous  le  toponyme  de  Saint-Antoine-en-Viennois.

La jeune communauté laïque se développe rapidement et œuvre pour la construction d’un nouvel hôpital spécifique appelé l’Hôpital des Démembrés.

 N.D.W selon les  sources on trouve : la Motte-au-Bois, la Motte-Disdier ou Motte-Saint-Didier 

Extension du réseau canonial, acquisition de biens et leur gestion. 

« À la fin du XIe siècle, la double polarité de Saint-Antoine-en-Viennois était mise en place : d’une part, l’abbaye de Montmajour possédait l’église Saint-Antoine et donc les reliques, d’autre part, la fraternité des frères de l’hôpital assurait l’accueil et le soin des malades, tout en demeurant sous l’entière dépendance des Bénédictins.

Pourtant,  dès  le  XIIe   siècle,  malgré  leur  absence  de  statut  et  leur  tutelle,  les  frères  de l’hôpital de Saint-Antoine disposèrent, grâce aux libéralités de riches laïques, de possessions dans le sud-est de la France, en Italie, en Allemagne et dans le nord de l’Espagne. Le pape Innocent IV, en 1247, « en raison de l’extension de leur œuvre », finit par leur octroyer le droit d’être érigés en couvent. La communauté devint un ordre religieux placé sous la règle des Augustins.

Ce fut au cours de cette période charnière entre 1250 et 1300 qu’eurent lieu des donations d’établissements, primitivement autonomes ou sous la tutelle  d’un  autre  ordre, à  proximité  de  l’implantation  originelle  de  Saint-Antoine-en-Viennois. Ainsi,  un  hôpital  et  trois  prieurés  passèrent  aux  mains  des  Antonins :  l’hôpital  de  Vienne,  les prieurés  de  Sainte-Croix,  Saint-Médard  et  Marnans. » (2)

Toutefois bien que disposant d’implantations un peu partout en Europe, la « Maison de l’Aumône » des frères de l’hôpital, demeurait en état de dépendance totale à l’égard de l’abbaye de Montmajour, ce qui créait des querelles entre les deux congrégations, principalement autour de la possession des reliques du Saint et des revenus qui y étaient associés.

Les  évêques  en  vinrent  à  imiter  les  largesses  laïques  en  leur  confiant  des établissements aux statuts divers : l’hôpital de Vienne, et les prieurés de Marnans, de Sainte-Croix et de Saint-Médard.

  • L’hôpital de Vienne fut cédé aux Antonins vers 1270.
  • Le prieuré de Marnans menacé de disparition, croulant sous les dettes fut mis sous la tutelle des frères le 23 décembre 1286.
  • Le prieuré  de Sainte-Croix  fut confié aux  Antonins par Jean de Genève, évêque de Valence et de Die, avec  l’ensemble  de  ses  dépendances :  Saint-Julien-en-Quint, Vassieux, Ansage, le prieuré de Pont-en-Royans, Saint-Etienne-en-Quint, le prieuré du château de Die, Véronne et les cures de Ponet et de Pontaix.  le 29 octobre 1289.
  • Le prieuré Saint-Médard fut  transmis  avec  l’ensemble  de  ses dépendances : Brises, Sibia, Saint-Romain, Saint-Sauveur et Omblèze. par Guillaume de Roussillon, successeur de Jean de Genève. sous l’ordre du pape Benoît XI,  le 16 avril 1304.

1237 Consécration de la chapelle des Antonins avec don d’un bras du saint pris dans le reliquaire des Bénédictins.
En savoir plus sur les reliques Saint Antoine l’Ermite.

Entre  1260  et  1300, grâce aux multiples donations le  réseau  monastique  s’agrandit et les frères de l’hôpital gagnèrent un soutient grandissant de la papauté, qui sous le pontificat de Boniface VIII les soustrait à la dépendance bénédictine de Montmajour.

En 1273, suite aux querelles entre les Bénédictins et les frères de l’hôpital se traduisant par des coups de force et des attaques armées. Boniface VIII décida de soustraire ces derniers de la tutelle bénédictine et renvoya les Bénédictins à  Montmajour. 

L’établissement des frères de l’hôpital à Saint-Antoine-en-Viennois fut érigé en abbaye le 10 juin  1297, par une bulle papale ce qui mit fin aux querelles entre les deux congrégations. « Outre  leur  autonomie,  les  frères  de  l’hôpital  désormais  « frères  du  monastère Saint-Antoine », plus communément « Antonins », acquirent également certaines des dépendances de Montmajour, un moyen d’enrichir encore un peu plus leur patrimoine foncier à proximité de Saint-Antoine . Ils obtinrent notamment le prieuré de Valchevrières, immédiatement rattaché à celui de Sainte-Croix. » (2)

Ex-libris manuscrits 17e siècle des Antonins de l'Abbaye de St-Antoine : Au contreplat supérieur : "D. Abbat. S Antonii catalogo inscriptus, 1618"

La fin du XIIIe  siècle le réseau antonin, fidèle à sa diversité initiale est composé  de  structures  variées :  maisons,  hôpitaux,  terrains,  chapelles  et  oratoires…  En dépit de leurs formes diverses l’affiliation de ces établissements  au réseau fut simplifiée  par  le  fait  qu’ils  étaient  tous  primitivement  régis  par  la  même  règle,  celle  de  saint Augustin, également celle suivie par les frères de l’hôpital. En outre, les  grands  maîtres  de l’hôpital adoptèrent  une organisation quasi militaire et une toponymie apparemment stricte sous la forme d’une hiérarchie antonine. Ils placent les établissements soit au rang de préceptorie générale, le premier  échelon  après  celui  de  l’abbaye  mère  de  Saint-Antoine-en-Viennois,  soit  à  celui  de préceptorie secondaire dépendant d’une préceptorie générale.

Les prieurés de Sainte-Croix et de Saint-Médard furent élevés au rang de préceptories générales, mais conservèrent parfois leur titre de prieurés,

Il reste à confirmer si ces deux établissements, parmi d’autres, possédaient ou non des structures hospitalières prodiguant des soins aux  malades et accueillant des pèlerins et des voyageurs, illustrant  leur indépendance vis à vis de la maison mère.
Ils ne faisaient pas  l’objet d’un pèlerinage à part entière, les fidèles leur préférant la visite de l’abbaye de Saint-Antoine-en-Viennois. Mais les dépendances  situées à proximité, localement, devinrent de véritables « relais de proximité » pour les marques de reconnaissance envers l’action des Antonins et pour les gestes de ferveur à l’égard de Saint Antoine. Elles assuraient la diffusion  de  la  renommée de  l’abbaye  mère  de  Saint-Antoine-en-Viennois et  permettaient à cette dernière l’afflux de revenus constants. » (2)

Les structures annexes étaient soumises aux taxes imposées par l’abbaye mère, mais elles pouvaient aussi  temporairement ou non, être associées  au  gouvernement  de  l’abbaye, voir devenir  un rouage essentiel du gouvernement de celle-ci à l’image de la préceptorie de Sainte-Croix  à partir de 1355 .

Enfin, l’abbé ou un vicaire visitaient les dépendances, tissant ainsi des liens forts de personnes. (2) 

Dans les années 1340, l’ordre compta jusqu’à 640 établissements en Europe. Ils étaient répartis le long des routes de pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle et Jérusalem.

Practica Chirurgiae

Practica Chirurgiae « La pratique de la chirurgie » vers 1180 - Roger de Salerne - Trinity College Library, Cambridge

Soins aux malades

L’efficacité des soins prodigués à Saint-Antoine-en-Viennois y est telle que plusieurs villes voisines s’intéressent aux méthodes de travail et au traitement des malades et sollicitent des Antonins, conseils et aide pour fonder ou réformer leurs hôpitaux.

Leur réputation d’excellents médecins fit que les papes s’attachèrent leurs services. En 1253, Innocent IV les chargea de constituer un hôpital ambulant pour le suivre dans ses déplacements.
En 1289 le pape Nicolas IV confia aux Antonins l’hôpital principal de Rome, afin de remédier à la gestion catastrophique de l’établissement. Il prit le nom de Saint Antoine de Urbe.

Afin de financer les auspices et les soins, les Antonins obtiennent du Pape le monopole des quêtes liées à Saint Antoine, monopole confirmé par tous les papes successifs.

Faisant preuve d’une organisation remarquable,  Ils recrutent des quêteurs, souvent simples laïcs, à qui ils remettent un pourcentage des quêtes. Ceux ci vont à travers toute l’Europe munis d’une clochette pour annoncer leur passage. Ils utilisent un poinçon en forme de Tau, dont ils marquent au fer rouge les jeunes porcelets qui devront être engraissés par les paysans, et remis aux quêteurs lors d’un prochain passage.

Les cochons de Saint Antoine avec leur T, sont ainsi présents dans toutes les fermes et villages d’Europe, mais aussi dans les grandes villes où ils ont souvent l’autorisation de divaguer à leur guise. (3)

Saint Antoine l'Abbé

The Desert of Religion - 1425 - British Library

Cochon de Saint Antoine

On doit à Saint Athanase (vers 360), le récit de la vie de Saint Antoine. Il y décrit les tentations auxquelles est soumis l’ermite avec forces métaphores, L’homme serait assailli par un ours, un lion, un taureaux… Cette hagiographie se répand largement dans le monde chrétien européen et les animaux sont remplacés par des espèces locales tels le loup et le sanglier.

Afin de nourrir les malades, les pèlerins, et d’obtenir la matière première pour les baumes, les Antonins élèvent des porcs. Ceux-ci se voient accorder le droit de vaquer en liberté alors que tous les autres porcs en sont privés depuis 1131, ayant causé la mort du roi ♦    

Avant cet incident, les porcs divaguaient, munis de clochettes, dans les rues qu’ils nettoyaient de leurs immondices. En signe de reconnaissance les porcs des Antonins ont l’oreille fendue. L’imagerie populaire transforma l’animal exotique en sanglier tentateur, puis cochon bienfaisant. 

« Saint-Antoine est devenu patron des charcutiers et des brossiers, on comprend aisément le rapport avec le cochon, pour la production de cochonnailles, et ses soies pour la fabrication des brosses, et pinceaux. » (4)


Déclin de l’Ordre des Antonins

À son apogée, au XVe  siècle, l’ordre comptait près de 10 000 frères. À la fin du siècle, il gérait encore 370 hôpitaux.

La réforme initiée le par le moine augustin Luther, annonce le déclin de l’Ordre.  Dénonçant les abus de l’Église, il incite  les membres des fondations allemandes, scandinaves et anglaises à se libérer du joug dauphinois et à prendre leur autonomie.  L’ébranlement du pouvoir romain est accompagné de changements dans la mentalité héritée du Moyen Âge : on allait discuter de la liberté de conscience, la Renaissance prit son essor continental et l’Europe allait connaître des guerres sanglantes où se mêlaient questions religieuses, révoltes antiféodales et ci et là un début de conscience nationale.

Les grandes municipalités germaniques et italiennes vont gérer elles-mêmes les hôpitaux, les soins aux malades et aux pauvres,

Les nombreux seigneurs du sud de la France qui ont rejoint la Réforme. viennent attaquer, piller et saccager l’Abbaye de Saint Antoine. En 1562, les bandes armées du baron des Adrets pillèrent l’abbaye en détruisant les statues des portails et la châsse de Saint-Antoine. En 1567, les protestants incendièrent la toiture et le clocher de l’abbatiale. Ils provoquèrent de nouvelles dégradations en 1580 et en 1586. La plupart des religieux prennent la fuite. (3)

Une autre cause de déclin fut aussi la diminution des épisodes épidémiques. L’ergot du seigle étant identifié comme responsable du feu de Saint-Antoine, les techniques de fabrication du pain s’améliorant, le fléau fini par disparaître et son lot de malades, pélerins et dons avec lui.

Les Antonins s’emploient alors à donner d’autres soins et plus particulièrement à ceux qui sont atteints d’affections de la peau, mais l’ordre décline rapidement au XVIIe  siècle,

En 1776, Il ne restait alors plus que 220 Antonins en France. Le roi de France Louis XV créa la « commission des réguliers » chargés d’examiner les abus des ordres monastiques.  Il en résulta l’union de l’ordre antonin à celui de Saint-Jean de Jérusalem. L’ordre des Antonins disparaît complètement d’Europe en 1803. Il continue pourtant à subsister au Liban, où les Antonins maronites possèdent vingt-un monastères ainsi que de nombreuses écoles et séminaires.

Tau

Le signe tau chez les Antonins (ordre de saint Antoine Le Grand) est une croix portée brodée sur la robe de bure à capuchon. Le chapelet antonin porté à la main ou en ceinture est constitué d’un alignement des grains enfilés sur un cordon terminé par cette croix. Clochette et bâton thaumaturgique sont des attributs traditionnels de saint Antoine, ce qui explique que le bâton sur lequel les religieux s’appuient est surmonté d’un tau. 

Ce signe est initialement une référence à l’initiale du nom grec de Dieu (Theos) mais il est devenu chez cet ordre l’emblème héraldique d’une béquille, rappel de la canne des infirmes que les Antonins soignaient, ainsi que des lépreux qui prévenaient de leur approche en agitant une clochette en amulette sur lequel était gravé ce signe. (6)

Attributs de Saint Antoine

Saint Antoine

1460

Les attributs avec lesquels est représenté Saint Antoine sont :
le Tau
le bâton
la clochette
le  cochon
parfois des flammes jaillissants sous les pieds du personnage, allusion au feu de Saint Antoine

♦  Le roi tué par un cochon 

Il se raconte que cette année là,  le jeune roi  Philippe de France,  fils de Louis VI dit le gros, se déplace dans les rues de Paris sur son cheval, à l’occasion d’un rassemblement de l’ost royal réuni pour combattre les seigneurs de Vexin , quand rue du Martroi-Saint-Jean, près de l’Hôtel de Ville, un cochon domestique se met sur son passage. Le jeune homme de 15 ans tombe de sa monture et le cochon, en plus d’avoir désarçonné le roi, le piétine. C’était le 13 octobre 1131.

La rue du Martroi est une ancienne voie de Paris alors située dans l’ancien 9e arr.

Philippe est inhumé le 17 octobre à Saint-Denis et rapidement remplacé par son frère, Louis VII, qui, âgé de onze ans, est sacré sur les conseils de Suger dès le 25 octobre.

 

Véronique BARTELMANN

Illustration d’en-tête : carte postale de l’Abbaye de Saint-Antoine-en-Viennois 

1- Lieux insolites (site internet) –  André Unterfinger

2- Entrer dans la dépendance des Antonins. Réflexions sur la difficile construction d’un réseau canonial. XII e -XVe  siècles   –  Julie Dhondt

3- Les Antonins, un ordre hospitalier présent pendant plus de six siècles, dans toutes les grandes villes d’Europe !  –  Michel Besson

4- les cochons de Saint Antoine – Lise Nanteuil 

5- La culturothèque –  Les Reliques de Saint Antoine – Janice Lert

6- Gabriel Le Bras – Les Ordres religieux. La vie et l’art, Flammarion, 1979, p. 78.