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Marcelle vécu à la maison de Pallaire pendant 5 ans, de 7 à 12 ans, de 1936 à 1941. La fillette voit le jour à La-Clastre le 20 octobre 1929. Son père et sa mère sont propriétaires au hameau de Ramières, une famille heureuse de trois enfants, Marcelle, son grand- frère et sa petite-sœur. Rien ne prédestinait Marcelle à venir vivre sur Ste-Croix, sauf qu’un jour, un drame se produit. Son papa décède à l’âge de 31 ans de la tuberculose. Marcelle a 2 ans, son frère 5 ans et la petite-sœur vient de naître. La famille meurtrie quitte La-Clastre pour venir à Ste-Croix se réfugier chez la grand-mère maternelle qui habite aux Guillots.

Cinq années passent, la famille se remet peu à peu et sa maman va bientôt se remarier avec un veuf qui a déjà 2 enfants. Ils sont donc sept à présent et vont devoir prendre des décisions. En effet, la grand-mère peut difficilement accueillir tout ce petit monde. Le grand-père de Marcelle avait acheté une maison à Pallaire en 1927 et, cette maison étant disponible, c’est là que la famille va s’installer et va s’agrandir… jusqu’à compter 12 enfants.

Les naissances se feront à la maison où la sage-femme vient assister la nouvelle mère. Mais elle ne peut surveiller l’accouchement que si le temps est suffisamment clément et si elle est prévenue à temps, or, c’est bien connu, les petits ne s’annoncent pas toujours longtemps à l’avance… Dans ce cas, il faut se débrouiller seul, mais la santé est bonne et heureusement tout se passe bien.

La maison paraît grande, mais à l’époque elle n’a que deux pièces. La grande cuisine qui est aussi la pièce de vie a une alcôve qui est la chambre des parents. A côté se trouve une petite pièce qui héberge les petits qui vont y dormir à 4 ou 5 dans le même lit dans lequel ils se tiennent bien au chaud. Et au-dessus se trouve le grenier, un grand galetas qui devient le dortoir des grands. Pas d’eau courante, mais un bassin relié à une source qui heureusement ne tarit pas, bien que le débit devienne assez faible en été. Alors la maman de Marcelle attelait le cheval au tombereau, entassait le linge de la quinzaine, descendait à la Sure et passait sa journée à faire la lessive. On peut imaginer le tas de linge de 15 jours pour une famille de 14 personnes… Elle remontait le soir à Pallaire exténuée.

rabbit

On s’éclairait au moyen de lampes à pétrole. Attention à ne pas mettre le feu au galetas !! Mais à l’époque on vivait comme les poules, au rythme du soleil. On se couchait et on se levait avec lui. La famille avait un troupeau de brebis, 2 à 3 vaches, un cheval, des chèvres, un cochon, des poules et des lapins.

Les machines agricoles n’étaient pas arrivées à Pallaire, tout était donc fait à la main. Les parents assuraient les gros travaux. Ils bûcheronnaient pour assurer le chauffage durant l’hiver, coupaient et entassaient le foin, cultivaient aussi quelques maigres céréales pour nourrir les bêtes et aussi pour le pain qui était cuit dans le four à pain et qui est toujours là aujourd’hui.

Ils s’occupaient des bêtes, tiraient le lait des quelques vaches, des chèvres et des brebis, faisaient le beurre et les fromages qu’ils vendaient à des magasins de Die. La livraison de ces marchandises était faite à bicyclette, mais, comme monter à Pallaire à vélo était impossible, la bicyclette était remisée chez la grand-mère aux Guillots. Pas vraiment simple !

Le travail des enfants était de garder le troupeau, mais ils aidaient aussi pour ramasser le foin car il en fallait pour nourrir toutes les bêtes durant la saison froide ; surtout qu’à l’époque, les hivers étaient beaucoup plus froids, duraient plus longtemps et étaient plus enneigés qu’aujourd’hui, surtout à l’altitude de Pallaire… Et puis les grandes filles, dont Marcelle, devaient s’occuper des plus petits pendant que leurs parents vaquaient à leurs multiples et rudes activités.

On comprend mieux pourquoi Marcelle n’allait pas à l’école tous les jours. C’était à tour de rôle que les enfants s’y rendaient car deux grands devaient absolument rester à la ferme pour aider les parents. Et quand le temps était trop mauvais ou quand il y avait de la neige, il était tout bonnement impossible de descendre au village… Alors le niveau scolaire des enfants n’était pas très bon ! Pour aller à l’école, la descente (6 km) était assez facile. Il fallait se lever tôt pour être à l’école à 8 heures et demie et retrouver les petits copains. Mais le soir, la remontée était dure. Il fallait 2 heures pour retourner à Pallaire avec une bonne, grosse montée, un dénivelé de 350 m, et surtout après une journée bien remplie.

Marcelle s’en souvient encore… Les 3 premières années, de sa vie à Pallaire, Marcelle allait à l’école du couvent de Ste-Croix où des sœurs en civil faisaient la classe, et les 2 dernières années elle est allée à l’école publique. Mme Soubeyran était la maîtresse, elle habitait Die et venait tous les jours faire l’école à Ste-Croix.

Marcelle se souvient qu’un matin de neige, le car ne circulait pas. La maîtresse était venue à pied de Die et elle était même arrivée à l’heure… Il n’y avait pas de cantine à l’école, alors, à midi, les garçons montaient aux Guillots se nourrir chez leur grand-mère et les filles restaient au village accueillies et nourries par la famille Clément. Et à 4 heures et demie, à la fin de l’école, les enfants remontaient sur Pallaire, sauf que l’hiver, les journées sont courtes, la nuit tombe vite et le temps change rapidement. Lorsqu’on avait pu descendre à l’école le matin, il était parfois impossible de remonter le soir et ils allaient alors coucher chez leur grand-mère. Il n’y avait pas moyen de prévenir les parents à l’époque. Ils s’en doutaient bien sûr, mais n’en avaient aucune confirmation… Là-haut, pas question d’être malade ou de se blesser.

 

Centre Hospitalier Crest

Marcelle se souvient que le grand-frère s’était vu confier la tâche de fendre du bois. Jusque-là rien d’inhabituel, il l’avait déjà fait et s’en était toujours très bien sorti. Sauf que cet après-midi-là, la hache maniée avec vigueur avait ripé sur un nœud et avait fini sa course… sur le genou de son petit assistant qui lui passait le bois et l’entassait ensuite, une fois fendu, sur une pile bien rangée. Une belle balafre, pas très profonde, mais sérieuse et qu’il était nécessaire de recoudre et soigner rapidement selon les premières constatations de la maman affolée. Le papa était parti jusqu’au soir avec le cheval et donc il n’y avait aucun moyen de transporter le petit blessé. On lava la plaie, on la recouvrit et on attendit sans avoir le nécessaire pour calmer la douleur, vive puis lancinante. À la nuit tombée, lorsque le père rentra à Pallaire, il faisait trop sombre pour partir sur ce chemin dangereux alors on attendit encore… Le lendemain, dès les premières lueurs, on emmena l’enfant à l’hôpital où il fut immédiatement pris en charge par un médecin qui le recousit, mais sans aucune anesthésie. Les produits anesthésiants manquaient en ce début de guerre et étaient réservés aux soldats du front… Marcelle se souvient encore…

milk-bottle

Elle avait dix ans quand un jour sa mère constata que la farine pour faire le biberon du bébé allait manquer. Elle lui donna de quoi prendre le car au Pont pour aller chercher cette farine à Die et la petite partit. Malheureusement en arrivant au pont, Marcelle constata que le car venait de partir sans elle. Que faire ? Le bébé avait vraiment besoin de cette farine pour son biberon du soir. Alors courageusement elle partit à pied jusqu’à Die. Elle acheta la farine pour bébé et alla manger chez une tante qui eut la gentillesse de l’accompagner jusqu’au car de l’après-midi. Arrivée au Pont, elle remonta vite à Pallaire pour que le petit puisse savourer son biberon du soir. Durant cette escapade d’une journée, Marcelle avait parcouru une vingtaine de kilomètres avec ses petites jambes de dix ans. Il faut espérer que le petit-frère ait apprécié son biberon…

La famille a quitté la ferme de Pallaire en 1941 en pleine guerre pour rejoindre des lieux plus… civilisés avec des commodités, des écoles proches pour accueillir tous les plus petits qui arrivaient à l’âge scolaire, des contacts autres que celui des quelques promeneurs et chasseurs qui s’aventuraient là-haut. Un domaine de 30 ha à Marsanne leur a ouvert ses portes, plus rien à voir avec leur vécu des 5 dernières années. Mais c’est là que nous quittons Marcelle. Pallaire a été un havre pour la famille après des épisodes très douloureux et leur a offert une vie dure, sans commodités, mais Marcelle en a gardé beaucoup de nostalgie et de souvenirs que ses yeux d’enfant ont enregistré à jamais. Pallaire, ce fut toute son enfance !

Propos de Marcelle ARBOD, recueillis par Danièle LEBAILLIF,    feuille de Quint n°23