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Histoire de la Clairette

Le village de Sainte-Croix fait partie des 31 communes viticoles délimitant l’aire géographique d’appellation « Clairette de Die », situées uniquement sur le département de la Drôme et apposées sur les parois sud du Vercors. Ce vin doux, effervescent naturel qui sait nous désaltérer et agrémenter nos moments conviviaux, nous le devons aux Romains qui ont ramené cette liane qu’est la vigne dans le territoire des Voconces : nos ancêtres diois. Voilà donc plus de 2000 ans que ce vin mousseux existe. D’ailleurs, Pline l’Ancien (77 après J.C)*, agronome latin, le citait dans ses ouvrages. 

Selon une légende, pendant des siècles, des tribus gauloises auraient abandonné des jarres (dolia) pouvant contenir jusqu’à 1200 litres dans la rivière durant l’hiver. Pour les retrouver au printemps… De ces jarres, un précieux liquide, sucré et pétillant, serait né : « l’Aigleucos », ancêtre de la Clairette de Die. De nos jours, sa notoriété grandissante a permis à ce « breuvage » une reconnaissance de l’État, qui délivre une appellation d’origine (AO) en 1910. Puis une appellation d’origine contrôlée (AOC) délivrée en 1942 pour confirmer l’authenticité et la typicité de ce vin. C’est en 1971 que la méthode de fabrication de la clairette de Die Tradition, unique en France, est identifiée sous le nom de « méthode dioise ancestrale ».

Pline l’Ancien (23-79) évoque dans son « Histoire Naturelle » la culture au pays des Voconces au Ier siècle de deux cépages antiques : le helvennaca et le diachytos. Il relate l’existence de deux vins réputés : un vin doux (vinum dulce) issu d’un cépage récolté tardivement et un vin pétillant (aigleucos), dont on arrêtait la fermentation en plongeant les dolia (jarres de vin) dans l’eau froide, jusqu’à l’hiver. Die alors appelée Dea Augusta Vocontiorum était l’une des principales villes de la partie sud de la Gaule. 

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Appellation « Clairette »

Et le nom Clairette ? Il faut remonter au XVIe siècle pour trouver le terme ‘claret’. Pour conserver ce vin pétillant au-delà de Pâques, il fallait le clarifier (le filtrer). Puis au cours du XVIIIe siècle vint le terme de ‘clerete’, qui a donné clairette, qui va nous contredire ? Ce qui est certain, c’est que ce vin ne porte pas le nom de son cépage ! Paradoxe… La « Clairette de Die » méthode ancestrale dioise est faite essentiellement avec du cépage Muscat à petits grains. 

Le « Brut » méthode traditionnelle n’est fait qu’avec du cépage Clairette. Allez comprendre ! Et comme c’est une tradition dans le pays Diois, alors, pour garder sa notoriété et ne pas perturber le consommateur, on a laissé apparaître sur l’étiquette la terminologie de Clairette de Die Tradition, méthode ancestrale… ! Quant au « Brut », ce vin élaboré par ‘seconde fermentation (qui brûle tout le sucre du jus du raisin)’ est apparu vers 1970. Il titre environ 11,5° d’alcool. Il semblerait qu’un employé des caves de Champagne venant travailler à la Cave Buffardel à Die, aurait apporté son ‘savoir ­faire’ pour fabriquer cette méthode spécifique à la Champagne ». 

Pour se démarquer de tous ’les produits bruts’ que l’on trouvait sur le marché, le Crémant serait né ! Composé de cépage clairette à 55% minimum, on le complète avec un % de cépages aligoté et muscat. Le « Crémant de Die » a obtenu lui son A.O.C en 1993. Le Crémant, tout comme le Champagne, sont tous les deux des vins mousseux, mais des Vins Mousseux de qualité ! (VMQPRD)… Produit dans une Région Déterminée. On lui préfère aujourd’hui le terme d’effervescent ou de pétillant pour ne pas véhiculer une image médiocre ! Á noter : dans la région, la plupart des habitants qui possédaient de la vigne ont toujours fabriqué leur vin de table, ainsi que de la clairette qui parfois était mal filtrée.

Dans les années 1970, trois vignerons indépendants produisaient de la Clairette à Sainte-Croix.

Famille Achard Vincent

La Famille Vincent Arlette (descendante de vignerons : Frachet, Grimaud,…), et Raymond (originaire de Saoû à environ 40 km de Sainte-Croix). 

Mr. Vincent a découvert la culture de la vigne en s’installant à Sainte-Croix. Il travaillait d’arrache­pied, se découvrant mille métiers qu’il pratiquait avec beaucoup d’entrain. Toujours souriante, Arlette sa femme n’économisait pas son énergie ! Elle savait s’activer. Ceux qui l’on connue ne peuvent me contredire. Le panneau « Frachet­ Vincent » indiquait leur caveau. 

Soucieux du respect de l’environnement et de la santé de leurs clients, ils cultivaient en ‘Bio’ depuis 1968. Et ils ont été reconnus comme « Pionniers de la Bio » en 1978. 

L’heure de la retraite sonnant, ils ont transmis tous leurs savoirs à leur fille Claudie Vincent et son époux Jean ­Pierre Achard (de formation agricole) qui, en fusionnant les vignes de Saillans (propriété des parents) ont créé le domaine Achard­ Vincent. Convaincus des bienfaits de l’Agriculture Biologique, Claudie et Jean­ Pierre n’ont cessé d’améliorer et de perpétuer les convictions familiales. Qui ne passe pas devant « le Caveau Achard ­Vincent » en bas du village, venant de la vallée de Quint pour traverser le pont de Sainte-Croix ! 

Vous rencontrerez Thomas, digne héritier intergénérationnel, passionné d’agriculture biologique, qui s’est lancé en biodynamie depuis 2005. Nous pourrions le penser satisfait d’être arrivé au summum ! Que nenni… Le voilà reparti à entreprendre un autre défi : fabriquer de la clairette sans sulfite ajouté, qu’il a évidemment réussie en 2010 ! Encore une première dans la région ! Tout comme à ses parents et ancêtres, une panoplie de médailles lui a été décernée.  Thomas Achard est le seul vigneron indépendant actuellement à Sainte-Croix. 

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Famille Morand 

En arrivant sur la place Temple­ Eglise, sur la gauche tout un ensemble de maisons de village était : la fabrique, le caveau, leur habitation qui abritait plusieurs membres de la famille et descendants. En 1971 c’est Albert Morand qui fabriquait de la clairette. Sa récolte était en partie vendue à des négociants de l’époque : Buffardel de Die et Carod de Vercheny. Certains se rappellent avoir gravi les escaliers qui donnent sur la place du village pour acheter les bouteilles de clairette. Leurs vignes se situaient vers la route des Bouanes (dénommée Bouine), ensuite en bord de Sûre, dit « Chazo », et plus tard aux Serres. 

Mr. Morand a su en outre trouver du temps pour s’investir dans la vie du village, en effectuant deux mandats de maire. Son fils Emile (que l’on connaissait sous le nom de Milou) est venu d’abord travailler avec son père et, par la suite, a pris la relève. Actuellement c’est son neveu Joël, vers l’Eguillot, qui exploite les vignes.

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Famille Grangeron

Avec un peu d’effort, depuis la route qui vient de Pontaix, nous pouvons deviner sur le pignon d’un hangar les restes d’écriture CAVE GRANGERON, situé sur les coteaux sud, légèrement en contrebas du village construit sur une crête. Souvenirs d’une aventure qui a perduré durant cinq générations, Henri est le dernier à clôturer l’exploitation en 1998, après son père Camille et son grand ­père Amédée

Ils ont tous été récompensés par des médailles, en participant aux concours : Mâcon, Montélimar, Vienne, Valence, Nîmes, et Vienne. Les parcelles (qui variaient entre 3 et 5 hectares), situées autour de Sainte­-Croix, ont permis entre autres de faire vivre toutes ces familles. 

Pour travailler la vigne, bien exposée mais la plupart du temps sur terrain pentu, Henri Grangeron utilisait un tracteur à chenilles et se servait de sa pioche. Pour la soigner il mettait un point d’honneur à n’utiliser que du souffre et de la bouillie bordelaise et se plaisait à dire « qu’il la travaillait le plus naturellement possible ». La cave, était située vers le milieu de la rue de Beaufort, qui grimpe vers le haut du village (face au N°172 d’aujourd’hui). Elle occupait environ 300m² sur deux niveaux) ce qui facilitait ainsi la gravité lors des filtrations. Le stockage en sous­sol évitait les variations de température. 

Dans un recoin convivial sur la gauche de l’entrée, se trouvait le coin dégustation. Sous l’air malicieux et fier d’Henri, nous savourions avec plaisir ses produits élaborés avec amour, travail et patience. Nous avions le choix entre du Brut, du Demi­ Sec, où de la Clairette Tradition. 

Les ventes de bouteilles se faisaient principalement : au caveau, par les relations, et dans les foires agricoles comme celle de Beaucroissant par exemple, qui à l’époque durait plusieurs jours et pouvait accueillir près d’un million de visiteurs chaque année. Aussitôt les commandes prises, les livraisons s’organisaient. 

De temps en temps, Solange Grangeron accompagnait son mari en région Rhône­ Alpes dans le break familial, une façon de joindre l’utile à l’agréable !  Ses occupations journalières lui laissaient parfois du temps pour aller aider un peu à la vigne. À l’approche de l’automne, pendant la période des récoltes, cinq à six vendangeurs et un journalier installés autour de la longue table, savouraient de bons repas concoctés par la maîtresse de maison à l’heure du déjeuner. Veuve depuis 2015, nous lui adressons « un clin d’œil », car à presque 94 ans, elle est la doyenne de notre village… 

Certains viticulteurs de Sainte­ Croix (familles Grangeron, Archinard, Vincent, de Corse et d’autres), faisant partie des 266 viticulteurs de la région, ont créé la cave coopérative de Die en 1950. Ce qui a amené un certain négociant à se moquer en traitant leur produit de « Pistrouille ». 

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 Francine BELLIER,  « Merci à internet (source inépuisable), aux familles, au voisinage, et à ceux qui nous ont quittés. »  feuilles de Quint n°39
sauf ♣ N.D.W.